jeudi 5 décembre 2013

Melting pot

Cette semaine, c'est la fin de la session d'automne ! Les cours sont terminés et les étudiants stressés révisent leur conjugaison dans la médiathèque. Une épreuve écrite et une épreuve orale par niveau... L'ambiance est studieuse dans les couloirs de l'alliance française de Mongolie ! Je ne sais pas qui, des étudiants ou des professeurs, sont les plus stressés. A la fin de mon dernier cours, alors que j'étalais longuement mes recommandations auprès de mes étudiants, l'un d'eux me coupe gentiment la parole et me dit avec un sourire : "Ne vous inquiétez pas professeur, on va l'avoir notre examen !"... N'est-ce pas au professeur de rassurer ses élèves normalement ?

C'est étrange de se retrouver "de l'autre côté de la barrière" pour la première fois. Je ne planche plus, je surveille ; je ne révise plus, je corrige ! Je ne stresse plus ?? Si, je stresse presque autant que si c'était à moi de rédiger dans une langue étrangère (je n'ai jamais été bonne en langue qui plus est !).

Pourvu qu'ils n'oublient pas de conjuguer leurs participes passés...

D'ailleurs, il semble que je ne sois pas la seule à stresser pour la réussite de mes étudiants ! Chacun surveillant une autre classe que la sienne, l'ambiance était curieuse dans la salle des profs à la sortie des épreuves écrites : "Alors, ils ont trouvé ça dur ?", "Les tiens n'ont pas eu le temps de finir, c'était trop long...", "Ah bon ! Ils ont dit que c'était dur, mais qu'est-ce qu'ils n'ont pas compris ?", "Bon, tu seras indulgente alors avec les notes, parce qu'ils ont bien bossé quand même !"...

Même scénario ce soir, à la fin des épreuves orales. Une fois le dernier étudiant parti, chaque professeur n'a pas pu s'empêcher de courir d'une salle à l'autre pour s'enquérir du succès de ses protégés. "Il n'a pas réussi ? Bah, c'est pas étonnant en même temps, il n'était jamais là...".
Bref, les épreuves sont passées, on respire ! Enfin, pas pour longtemps car ils restent maintenant les corrections... Même si, tous les étudiants semblent en droit d'espérer pouvoir passer au niveau supérieur, il y a déjà eu de belles perles... Comme ce grand moment de solitude quand, à la question "As-tu des frères et sœurs ?" l'étudiante me répond "Oui, j'aime beaucoup le basketball !", ou quand je dicte un numéro de téléphone et que je découvre que l'étudiante n'a aucun chiffre de bon sur son papier...

Mais passons, les turpitudes de la vie de professeur ne sont pas si extraordinaires... Ce qui peut l'être cependant, c'est d'assister à une répétition en costume de l'opéra Carmen, mise en scène en français par la troupe de l'opéra national de Mongolie !


Explications : Cet hiver, l'opéra d'Oulan-Bator porte à l'affiche le célèbre chef d’œuvre de Bizet en version originale. Comme le français n'est pas vraiment le répertoire habituel de la troupe, la direction de l'opéra a décidé de faire appel à l'alliance française pour donner des conseils d'ordre phonétique. Alisson (ma collègue, voisine de couloir et copine d'aventure !) a été réquisitionnée pour la tâche. La chance !

Aujourd'hui, dernier jour de son contrat avec l'opéra, elle m'a proposé de m'introduire pour la répétition intégrale de la pièce. Je n'ai pas vraiment hésité ! A 11 heures ce matin, nous étions assises confortablement dans les sièges rouges de l'opéra, prêtes à déguster 3 heures d'envolées lyriques. Les quelques mises au point du metteur en scène, les costumes encore approximatifs et les aller-retour des artistes dans la salle n'ont pas empêché la magie d'opérer.


 La première est la semaine prochaine, et Carmen sera sublime ! Encore une belle preuve que tout gagne a être mélangé et qu'il ne faut pas avoir peur de s'enrichir de la culture de l'autre. Bêtise de croire que l'on pourrait perdre son identité en accueillant ce qui est différent. Bien au contraire, nous courons seulement le risque de nous rendre plus riche.

Nous ne sommes qu'un mélange, mélange de notre père et de notre mère, de ce que nos parents, nos professeurs, nos amis nous ont apporté. Nos langues, nos conceptions du monde, nos religions ne sont rien d'autres que d'énormes enchevêtrements d'influences qui ont eu cours à différents moments de notre histoire. Le terme "identité" ne veut pas dire grand chose s'il traduit un rejet de ce qui est différent car, si on se penche un peu sur la question, on se rend compte que ce qui nous différencie est bien futile à côté de ce qui nous rapproche. Partout les gens ont besoin de rire et de pleurer, partout les gens aiment et ont besoin d'être aimé, partout les enfants ont besoin de jouer, partout les gens cherchent à améliorer leur condition, partout les parents se battent pour offrir un bel avenir pour leurs enfants...

Ce qui nous différencie, c'est que la tâche est plus facile pour certains que pour d'autres... Certains doivent se battre à chaque instant pour espérer atteindre un niveau de vie que d'autres ont acquis par "droit de naissance", "droit du sol". Et on a malheureusement pas besoin d'aller au bout du monde pour constater que ce fossé s'agrandit au sein même de notre société dite "égalitaire". 

Au dernière nouvelle, la France semble s'enliser de plus en plus dans le bourbier de la crise économico-socialo-écologico-politique, cela dit, de l'autre côté du continent eurasiatique, la petite communauté française ne manquent pas une occasion de pousser un joyeux cocorico. Ainsi, samedi 14 décembre, nous serons présents pour applaudir Carmen chanté dans la langue de Molière par de grands interprètes mongols, car cette histoire tragique trouve sans aucun doute un écho dans le cœur de tout ceux qui, sur notre petite Terre, ont un jour été amoureux !