jeudi 30 janvier 2014

Fête et linguistique !

Ce soir, c'est la veillée du Tsagaan Sar (litt : "le mois blanc", ou "la lune blanche"). C'est le nouvel an mongol, fête de la nouvelle lune et du renouveau. L'année du serpent se termine et c'est le cheval qui prend sa suite. Les préparatifs des festivités ont commencé depuis déjà plusieurs jours, voir plusieurs semaines pour certains.
La tradition veut que, pour cette fête, on rende visite aux aînés de la famille. Chaque foyer s'apprête donc à recevoir et à visiter une ribambelle de cousins, cousines, oncles, tantes, frères, soeurs, grand-parents, neveux, nièces... C'est le moment de l'année où tout le monde se retrouve pour partager un véritable festin.
Chacun s'affaire depuis deux semaines. Les carcasses de moutons s'entassent dans des fourgonnettes, les étagères des magasins se vident et se remplissent à un rythme soutenu, les "aliments blancs" (produits laitiers) envahissent les marchés. Certains produits typiques du Tsagaan Sar font leur apparition tels que les ulyn boov, genre de gros biscuits ovals qu'on empile les uns sur les autres pour former le shiniin idee (litt : "l'aliment nouveau").



Cette pièce montée est ensuite décorée de quantité de petites sucreries à base de lait.
Mais le plat inévitable du Tsagaan Sar est sans nul doute les buuz, les fameux raviolis de mouton mongol cuits à la vapeur.



Les mongols en confectionnent par centaine pour les offrir à tout ceux qui viendront leur rendre visite. Tout cela est bien sûr accompagné du suutai tsai qu'on ne présente plus (le célèbre thé au lait mongol), ainsi que l'aarts, boisson très, très surprenante... C'est du fromage mélangé avec de l'eau chaude, un peu de farine, ce qui donne une boisson épaisse et grumeleuse à l'odeur très particulière que certaines on qualifié de "vomi de bébé"... Je n'ai jamais gouté de vomi de bébé, mais j'avoue que... Bon... Passons.

Cette fête, comme toutes les fêtes du monde, est l'occasion de se rassembler en famille. Les jeunes offrent alors aux personnes âgées de la famille le khadag, un foulard de soie bleu, avec un peu d'argent.


Ici, le respect de la hiérarchie familiale est primordial, les jeunes doivent honorer leurs aînés. C'est un rapport entre les membres de la famille qui n'a pas vraiment d'équivalent dans la culture occidentale.

C'est d'ailleurs à travers la langue qu'il est possible de constater ces différences culturelles.

Par exemple, en français, la seule différence entre la grande soeur et la petite soeur réside dans l'adjectif qualificatif qui n'a pas une grande importance puisque quoiqu'il en soit, grande ou petite, elle restera ma soeur. En mongol, au contraire,la différence est de taille ! la grande soeur est appelée egtch, alors que la petite soeur est simplement eregtei duu (litt : "la petite fille", "la petite soeur"). De même, le grand frère est appelé akh, et le petit frère emegtei duu (litt : "le petit garçon", "le petit frère"). Il existe donc une nette différence (linguistique et donc culturelle) entre les cadets et les aînés. Ces derniers se rapprochent davantage des parents au niveau de l'importance dans la famille. La grande soeur "egtch" est plus proche de la mère "eej", que de la petite soeur "emegtei duu", et le grand frère "akh" est plus proche du père "aav" que du petit frère "emegtei duu". Quand la phonétique devient l'interprète des relations sociales !

On comprend alors toute la complexité du travail de traducteur...

Un autre exemple, il n'existe pas en français de traduction pour le mot zolgokh, qui est la salutation particulière échangée lors du Tsagaan Sar. C'est une salutation respectueuse au cours de laquelle on se prend par les bras, les mains allant jusqu'aux les coudes de l'autre. La personne la plus âgée place ses bras au-dessus de ceux de la personne la plus jeune. La société mongole étant très traditionnelle, très codifiée, ces gestes ne doivent pas être fait au hasard.
Il ne faut pas  "saluer" une femme enceinte de peur que les esprits influencent le sexe du bébé et le fasse "devenir une fille", la position d'infériorité de la femme est malheureusement quelque chose de commun à quasiment toutes les cultures du monde...
Les époux ne doivent pas non plus se "saluer" entre eux car, pour citer ma professeure de mongol "ils forment une seule et même personne", dès lors, pourquoi se souhaiterait-ils prospérité et bonheur, puisque que la prospérité et le bonheur de l'un feront la prospérité et le bonheur de l'autre ! Cette forme de salutation donc, profondément respectueuse, ne trouve pas d'équivalent en français.


Les langues sont un vrai miroir de la culture et des traditions. Elles sont vivantes et elles évoluent en même temps que leurs locuteurs. Elles nous racontent l'histoire du monde, l'histoire des peuples qui les ont façonnées. Elles sont les liens qui nous relient les uns aux autres et c'est à travers elles que nous pouvons comprendre la culture de l'autre. Elles sont les garantes de la diversité de l'humanité et tout comme elle, les langues se transforment, se complexifient, échangent et empruntent sans cesse.
Ainsi, le mot botïnk (litt : "chaussure"), est un mot que les mongols ont emprunté au russe et qui ressemble étrangement à nos "bottines" françaises... Intrigant !

Les mots voyagent et créent des ponts entre les hommes. Serions-nous donc fait pour nous comprendre finalement ?

Pour finir sur une anecdote, il y a quelques semaines, j'ai longuement échangé avec un mongol, non pas en mongol, ni en français, ni en anglais, mais en langue des signes (avec les quelques pauvres restes que j'ai pu glaner dans ma mémoire... merci les cousins !! :) ), et j'ai été extrêmement surprise de voir à quel point cette langue est universelle ! Peut-être avons-nous déjà entre nos mains l'outil qui pourrait relier toute les langues du monde !...

mardi 21 janvier 2014

1 personne sur 4...

Après deux jours passés en total isolement, à 3 heures de route de la ville la plus proche, nous devons, cette fois contraintes et forcées, faire notre sac pour la dernière fois. Les vacances sont finies, Oulan-Bator et nos obligations professionnelles nous attendent.
Le taxi est arrivé. Nous finissons notre Suutai tsai (thé au lait) prestement, puis disons au-revoir à la famille qui nous a hébergées, un dernier coup d'oeil dans la yourte pour vérifier que nous n'avons rien oublié et nous embarquons. Au revoir Amarbayansgaland ! La tradition veut que nous te fassions la promesse de revenir dans 10 ans. Je l'ai faite, et j'espère pouvoir la tenir !





Notre chauffeur est venu accompagné de son meilleur ami et alors que nous nous éloignons de notre petit coin de paradis blanc, les efforts de communication reprennent bon train dans la voiture. Le monastère pourtant si imposant devient rapidement une petite tâche noire sur l'immense manteau blanc de la plaine puis, au détour d'une colline, disparait, comme les images futiles des rêves qui nous glissent entre les doigts au petit matin. Direction Dakhan pour prendre le train de nuit qui nous ramènera à la capitale, une légère mélancolie nous traverse, nous serions bien restées quelques jours, quelques vies, de plus. Nous quittons un lieu clair, blanc, vide et apaisant, grandiose, pour retrouver les rues noires encombrées et irrespirables d'Oulan-Bator. Pire que le chagrin de l'écolier qui retourne à l'école après des vacances ensoleillées, nous sommes démoraliser à l'idée de savoir que, dans quelques heures, nous serons à nouveau sous le nuage épais et nauséabond de la capitale la plus polluée du monde...

Notre train quitte Dakhan à 22 heures. Nous voyageons de nuit dans un wagon-couchette. Le train est plein et nous nous frayons avec peine un chemin vers notre banette. Le wagon est découpé en petits compartiments ouverts, chaque compartiments comportant 6 couchettes (3 d'un côté et 3 de l'autre). Les espaces n'étant pas fermés, les occupants d'un compartiment peuvent très facilement voir ce qui se passe dans celui d'à côté.

Nous rangeons d'abord nos sacs sous la banquette du bas puis nous nous hissons, avec la grâce d'un Orang-outan, sur les couchettes du milieu. Il fait très chaud et l'espace à notre disposition n'est pas large, mais nous sommes à l'aise. Tout est calme et silencieux. Un monsieur bedonnant dort torse-nu, une mamie caresse les cheveux de son petit fils qui s'est endormi sur ses genoux, une adolescente envoie une dizaine de textos à la minute et un jeune homme écoute de la musique la tête appuyée contre la vitre... Et la locomotive emmène tout ce petit monde à travers la steppe sombre. Dans quelques heures nous aurons rejoint le centre névralgique du pays, mais en attendant, la tête sur l'oreille, bercé par les mouvements réguliers du convoi, nous nous enfonçons dans un sommeil paisible...


6 heures plus tard, nous sommes réveillées par l'activation des passagers. Il est 5 heures du matin, le soleil n'est pas levé et nous pénétrons dans Oulan-Bator. Nous distinguons les habitations et les yourtes des quartiers nord de la ville à travers les vitres du train. Un épais nuage de fumée stagne dans les rues. La vue de cette masse dense de pollution nous désole et, sans enthousiasme, nous nous préparons à l'arrivée en gare. A peine sorties du train, elle est déjà partout, on la respire à plein nez, elle pique les yeux, elle assèche la gorge... Impossible de se retenir de tousser, il faut un peu de temps pour s'habituer à cette odeur suffocante de charbon brûlé. Le matin et le soir sont les moments de la journée où le taux de pollution est le plus élevé, car c'est le moment où les habitants des quartiers de yourtes allument leur poêle à charbon pour se chauffer et faire la cuisine. Au delà du charbon, qui est souvent de mauvaise qualité et qui, de ce fait, se consume mal, les habitants brûlent leur poubelles ou des pneus pour se réchauffer. Ajoutez à cela le défilé incessant des pots d'échappement dans les rues encombrées et vous n'aurez encore qu'une vague idée de l'atmosphère irrespirable de la ville. On m'avait prévue, mais je n'aurais jamais pu imaginer l'ampleur du phénomène. Deux jours après notre retour, j'ai chopé un énorme rhume dont je n'arrive toujours pas à me défaire... Marcher 20 minutes dehors pour aller travailler est devenu une véritable épreuve de force pour les poumons. Tout le monde évite le plus possible de sortir après 18 heures car à partir de là, on a du mal a distinguer le sommet des buildings , noyés dans une purée épaisse et sombre. Si on veut aller en boîte après la tombée de la nuit, on prend un taxi, même si le bar est à 15 minutes de marche, et après une journée de travail, on s'empresse de se débarrasser de ses vêtements tout imprégnés de l'odeur asphyxiante de fumée.

Oulan-Bator arrive deuxième au triste palmarès des villes les plus polluées du monde (pollution aux microparticules), loin devant Pékin ou Mexico, qui ne sont même pas dans le top 10. Le UB Post (journal d'information mongol publié en anglais) d'hier titrait "Le pays du ciel bleu ? La pollution est responsable de 25 % des décès à Oulan-Bator". 25% !!! 1 personne sur 4 qui décède aujourd'hui à Oulan-Bator est une victime de l'air. Il y a 2 ans, c'était 1 sur 10...

Les hôpitaux répertorient une augmentation effrayante de problèmes cardiaques, cérébraux et pulmonaires. La tuberculose frappe de nombreuses personnes, et comme partout, les enfants en sont les premières victimes (directes ou indirectes). L'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) estime que le taux de particules fines dans l'air PM2.5 (de 2,5 microns de diamètre) ne devrait pas dépasser les 25 µg/m³ pour une durée de 24 heures, ou 10 µg/m³ pour une exposition à l'année. A Oulan-Bator, ce taux peut grimper au-delà de 600 µg/m³ le soir !! Ces particules fines pénètrent jusque dans le sang et ont des effets directs sur la santé. Ainsi, selon le UB Post, la pollution serait devenue "l'ennemi public numéro 1", et représente la plus grande menace actuelle sur la population.

En comparaison, en France, une procédure d'alerte est déclenchée lorsque le taux PM10 atteint 80 µg/m³. A Oulan-Bator, ce niveau n'est atteint qu'aux heures les plus "respirables" de la journée... 

Oulan-Bator explose les records de pollution de Pékin, pourtant, cela ne fait pas la Une des journaux internationaux et tout le monde semble vivre sa vie sans se soucier du poison ambiant qui menace la santé de la population et des futures générations. Le gouvernement mongol tente de trouver des solutions à cette calamité : mettre à disposition des poêles plus efficaces, reloger les habitants des quartiers de yourtes dans des appartements... Mais aucun projet ne semble être assez efficace aujourd'hui pour endiguer la croissance alarmante de la pollution, et les conséquences sur la santé des générations futures restent encore largement sous-estimées...

Le mieux à faire pour l'instant est de rester chez soi le plus possible en attendant le printemps. Avec l'arrivée des premières chaleurs, les poêles s'éteindront et l'air redeviendra un peu plus respirable... 


dimanche 12 janvier 2014

Sublime Mongolie (partie 2)

Nous arrivons à la gare de Dakhan à 23 heures. Le quartier est très glauques et les rues sont vides, si ce n'est les quelques chiens rodant autour des poubelles. Du quai de la gare, nous apercevons l'enseigne lumineuse d'un hôtel qui éclaire vaguement la rue. Nous décidons que cela fera très bien l'affaire pour ce soir, ni l'une ni l'autre n'ayant envie de déambuler dans cette ville encore inconnue à une heure si tardive.
La porte de l'hôtel est fermée à clef, mais nous frappons et une jeune femme vient rapidement nous ouvrir. Elle nous dévisage de la tête aux pieds puis prend un air autant amusé que surpris lorsqu'on lui demande une chambre pour la nuit. Avec un petit sourire en coin, elle nous ouvre une chambre. Nous commençons à sentir quelques choses d'étrange dans l'atmosphère de cet hôtel, mais peu importe nous prenons la chambre. Ce n'est qu'une fois les sacs posés que nous réalisons. La porte est insonorisée. Les meubles sont plastifiés, il y a un étrange peignoir en soie accroché au porte manteau et... des distributeurs de papiers toilettes sont fixés au mur, juste à côté d'un affichage signalant qu'il est interdit de boire de l'alcool dans la chambre... Il semblerait que cet hôtel soit plutôt du genre à "louer les chambres à l'heure"... Une petite visite à la salle de bain commune confirme notre impression. Nous sommes bien dans un hôtel de passe. Charmant !

 
Après quelques minutes de malaise, nous rions franchement de l'improbabilité de la situation. De toute façon, nous sommes trop fatiguées pour aller chercher un autre hôtel. Nous essayons donc de dormir en évitant de penser aux locataires des chambres voisines...
Le lendemain, nous rangeons nos affaires dare-dare. Nous ne tenons pas à faire de rencontres étranges dans les couloirs. Nous nous esquivons donc poliment mais prestement.

La ville de Dakhan a tout d'une cité dortoir industrielle : de gros blocs de béton "à la sovièt'", quelques karaokés par-ci par-là, et un marché ou l'on trouve de tout et de rien, de la viande de mouton aux bottes rembourrées en passant par des coques de portables bling-bling et des guitares acoustiques.
Nous pensions avoir atteint le must des hôtels sordides hier soir, mais c'était sans compter sur l'hôtel Dakhan. Ce bâtiment devait être un vrai palace à l'époque soviétique, on pourrait y loger une armée entière ! Malheureusement, il ne semble pas avoir été rénové depuis à en croire les chewing-gums incrustés dans la moquette, le style suranné de la tapisserie et des rideaux ainsi que la violente odeur de renfermé émanant de l'ensemble.
 

Les immenses couloirs d'1,5 mètre de large débouchent sur d'austères halls sombres. La décoration est sommaire et le cuire des canapés troué. Bien que l'hôtel soit quasi-vide, on nous attribue une chambre au 5ème étage sans ascenseur. Rien de très accueillant donc...
Mais un argument suffit à faire pencher la balance, il y a de l'eau chaude ! Ainsi, pour la Saint-Sylvestre, nous nous offrirons le luxe d'une douche dans un décor à la "Shining". Une bouteille de vin italien agrémenté de quelques cacahouètes, des feux d'artifice dans les rues et "The Hobbit" doublé en mongol à la télé, voilà un réveillon qu'on n'est pas prête d'oublier !
Le lendemain, nous sommes très surprises quand la réceptionniste vient nous dire que notre taxi nous attend devant l'hôtel. Pourtant, hier soir, elle semblait nous certifier qu'il n'était pas possible d'avoir un taxi un 1er janvier dans toute la ville... Alors, soit nous sommes encore devant une preuve de la grande capacité d'adaptation mongole (même au dernier moment, il y a toujours une solution), soit nous n'avions vraiment rien compris à la tournure qu'avait pris la conversation d'hier soir... La deuxième proposition est certainement la bonne !
Nous commençons par négocier le prix du trajet sur un bout de comptoir. Nous trouvons rapidement un tarif qui convient aux deux parties et nous nous mettons en route. Un trajet de 3 heures nous attend. Nous nous rendons au monastère bouddhiste "Amarbayasgaland" (il nous a fallu quelques heures de pratique avant de maitriser cette dénomination!).
Notre chauffeur est un jeune mongol de 24 ans. Il nous demande si nous sommes bouddhistes et si nous allons au monastère pour prier. Il semble surpris que deux touristes veuillent visiter un monastère en plein hiver juste pour le plaisir de l'architecture.
Lui, il pratique le chamanisme. Au bout d'une demi-heure de route, il s'arrête sur le bas côté et sort un petit bol en terre cuite de la boîte à gants. Il commence par remplir le bol d'un liquide que nous supposons être de la vodka à en croire l'odeur. Il plonge y d'abord ses deux grosses bagues puis les deux amulettes (un arc en cuivre et un serpent en tissu) accrochées au rétroviseur. Il remet alors ses bagues et sort de la voiture. Faisant face aux montagnes, il envoie quelques gouttes en l'air avec son doigt puis boit le contenu du bol d'un trait. Nous observons avec attention cette courte cérémonie. Nous sommes intriguées. Bien que la Mongolie ait été athéisée durant la période communiste, les croyances et les pratiques religieuses sont visiblement toujours très présentes, même chez les jeunes générations.
Après 1h 1/2 de route asphaltée, nous nous lançons sur une piste verglacée serpentant dans la steppe, nous ne voyons rien à l'horizon. La plaine enneigée s'étend à perte de vue.

Au bout de quelques kilomètres, la voiture dérape, fait plusieurs tours sur elle-même comme une toupie et s'arrête en travers de la piste. Pas de panique, notre chauffeur est un vrai pilote, il redémarre comme si de rien n'était. C'est vrai qu'il n'y a pas vraiment de danger, aucun arbre en vue et pas de fossé au bord de la piste. Nous nous sentons néanmoins comme de petites fourmis avançant péniblement dans un océan lacté. Nous dérapons encore 2-3 fois sur le verglas de la piste, notre chauffeur est concentré mais nous commençons à avoir des doutes... Sait-il réellement où il nous emmène ? Nous ne pouvons faire autrement que de lui faire confiance, perdues que nous sommes au milieu de nul part, sans réseau, sans une yourte à l'horizon... ni monastère d'ailleurs... Alors que nous commencions à sérieusement penser que ce n'était peut-être pas une si bonne idée de  nous aventurer si loin en plein hiver, nous le voyons ! Amarbayasgaland ! Splendeur bouddhiste isolée du monde, merveille architecturale dans son écrin de neige.





Notre chauffeur, presque aussi rassuré que nous d'être arrivé, nous accompagne pour trouver un hébergement. Il y a un tout petit village à côté du monastère. L'été, ce lieu doit bouillonner d'activités, mais l'hiver seulement 2 ou 3 familles y vivent. Dans le petit magasin du village, on trouve, bien alignés sur les étagères, des paquets de cigarettes, des allumettes, des jus de fruits, une grande quantité de ramens et quelques boîtes de conserves. En hiver, les principaux clients de l'échoppe sont les moines du monastère.  La tenancière, qui vit ici toute l'année avec sa famille dispose également d'une yourte pour les voyageurs. Nous y élisons domicile pour les deux prochains jours qui clôturerons notre voyage.

La yourte est l'habitat traditionnel des nomades de Mongolie. Elle peuple encore beaucoup les campagnes du pays bien que de nombreux mongols lui préfère le confort des constructions fixes. Les nomades n'hésitent généralement pas, quand ils en ont les moyens, à échanger le feutres et le bois de la yourte contre la brique et le ciment des habitations sédentaires.


 Sous les yourtes mongoles, l'espace est extrêmement organisé. L'intérieur forme un cercle au centre duquel trône le poêle. On y entre toujours du pied droit en faisant bien attention à ne pas marcher sur le seuil, ni à se cogner la tête au linteau de la porte (et croyez-moi, ce n'est pas si facile...). Une fois à l'intérieur, il faut circuler dans le sens des aiguilles d'une montre et ne pas passer entre, ni s'appuyer sur, les poteaux soutenant la yourte.


La porte de la yourte est toujours orientée vers le sud. L'est (la partie gauche de la yourte) est réserve aux femmes et l'ouest est la partie où siège traditionnellement les hommes. Le fond de la yourte (en face de la porte) est la zone réservée aux anciens, aux objets de valeurs, familiaux ou encore aux hôtes. Les lits sont disposés sur les côtés de telle sorte que les pieds soient orientés vers la porte. L'armature de la yourte est faite en bois et est maintenue à l'aide de corde. Elle est recouverte de feutre blanc à l'extérieur et de tissu richement coloré à l'intérieur.



La seule ouverture vers l'extérieur, à part la porte, est le trou dans le toit laissant sortir le tuyau du poêle.
L'atmosphère à l'intérieur d'une yourte est chaude et rassurante. Le contraste est fort entre l'extérieur immense et glacial, et l'intérieur restreint et confortable.Vivre dans un cercle a quelque chose d'apaisant, la dureté des angles droits laisse place au calme serein des lignes courbes. C'est un espace ou l'esprit se sent bien, mais où, il faut le dire, le confort est limité.
 Il n'y a, bien sûr, pas d'eau courante dans la yourte et, concernant les besoins naturels, un trou entouré de quatre murs à quelques mètres de la yourte font l'affaire. Je vous laisse imaginer la partie de plaisir quand il faut baisser son pantalon par -25°C, en équilibre sur deux planches de bois...
Si la température monte très vite à l'intérieur de la yourte grâce au poêle à bois, elle descend tout aussi rapidement quand celui-ci n'est pas alimenté. Ainsi, Il faut régulièrement se levé, la nuit, pour remettre quelques bûches à brûler. N'étant pas habituées à cette activité nocturne, nous avons eu le malheur, dès la première nuit, de laisser mourir le feu... Si bien qu'à 5 heures du matin, engourdies par le froid et par le sommeil, nous étions à quatre pattes, soufflant sur les braises pour tenter de rallumer le poêle...




Maintenir une température intérieure confortable alors que l'air extérieur avoisine les -30°C la nuit est un véritable sport de combat ! Mais ensuite les projections lumineuses du feu, filtrées par la grille du poêle, dansent sur les murs de la yourte. Alors, au fond de son lit, regardant les étoiles scintiller à travers le trous du toit, on se sent bien, privilégiée, hors du temps.

dimanche 5 janvier 2014

Sublime Mongolie (partie 1) !

Le 28 décembre au matin, nous nous levons avec le soleil. Les sacs sont prêts et le taxi nous attend. Une fois le café avalé, il ne reste plus qu'à chausser nos bottes et nous voilà parties pour la gare.
Nous avons prévu de laisser place à l'imprévu ! Nous n'avons rien réservé, à part le billet de train. Nous savons à peu près où nous allons mais pas ce que nous y ferons. L'aventure sera au bout du chemin !


10 heures à voir défiler les immenses steppes gelées de Mongolie dans ce train mythique qui fait rêver tant de voyageurs de la planète : le transmongolien. Bien plus qu'un voyage dans l'espace, c'est un voyage dans le temps que nous allons vivre en empruntant cette unique voie ferrée reliant Pékin à Moscou et nous ne pouvons retenir notre excitation !





Sur le quai, le froid est saisissant et nous attendons au chaud dans le hall de la gare le moment de pouvoir embarquer. Assises sur notre banc, nous nous faisons ouvertement dévisager par les autres voyageurs, il est vrai que les touristes se font très rares à cette période de l'année...





En posant le pied sur la première marche du wagon, nous avons la sensation de plonger dans le décor d'un roman d'Agatha Christie. Nous ne serions pas surprises de croiser Hercule Poirot dans le corridor qui nous mène jusqu'à notre cabine. Les contrôleuses en uniforme, le ballon d'eau chaude chauffé au charbon, les couvertures, les rideaux et les coussins à la mode russe, tout semble dater d'une autre époque.








A intervalle régulier, le train s'arrête, parfois dans une gare (i.e. un panneau indiquant un petit regroupement d'habitations...), parfois, au milieu de nulle part. Quelques passagers descendent alors, puis le convoi reprend son rythme lent et nous nous laissons alors bercer par les "taco-tac" des roues glissant sur les rails. De la neige à perte de vue, des montagnes au loin, quelques yourtes encerclés par des troupeaux de moutons, le regard se perd, l'esprit s'évade et la contemplation devient une activité à part entière.



La nuit est déjà tombée quand nous arrivons à notre destination. La petite ville de Suukhbaatar nous accueille et nous arpentons quelques mètres de trottoir verglacés avant d'entrer dans l'imposant hôtel "Selenge", le seul qui semble être ouvert. Nous demandons une chambre pour une nuit seulement car l'accueil y est glacial. Nous trouverons peut-être un petit hôtel plus sympathique demain.


A 9h le lendemain, nous sommes déjà sur le départ quand une jeune dame vient frapper à notre porte pour nous apporter le petit-déjeuner... Qu'importe,  nous tassons le saucisson, les oeufs et le pain au fond de notre sac, nous les mangerons au déjeuner, et nous partons à l'assaut de Suukhbaatar ! Nous trouvons rapidement un hôtel "familial" très mignon où nous établissons domicile pour les prochaines 24h. Les chambres sont neuves, si bien que la douche n'est pas encore terminée, aucune importance, de toute façon il n'y a pas d'eau chaude...
Nous baragouinons quelques mots en mongol avec la dame de l'accueil qui, au bout de 10 minutes, comprends que nous cherchons à louer les services d'un chauffeur pour nous emmener au poste frontière russo-mongol. Une heure plus tard, un monsieur peu causant d'une quarantaine d'année passe nous prendre à l'hôtel et nous embarquons dans sa voiture. House de siège "hello Kitty", pare-soleil "Mickey Mouse" pendentif animiste au rétroviseur et le Soyombo (symbole national de la Mongolie : http://fr.wikipedia.org/wiki/Soyombo) aux fenêtres, encore un bel exemple du bouillon culturel mongol.
Après 24 kilomètres d'une route droite, nous atteignons le poste frontière, nous apercevons au loin le dôme d'une église orthodoxe. C'est tout ce que nous verrons de la Russie ! Quelques photos et nous repartons...


Notre chauffeur semble alors s'ouvrir à la communication et nous échangeons quelques mots. Il nous propose de nous emmener sur 3 sites "mach goy" (très beau), nous sommes ravies ! Premier arrêt, une source d'eau chaude... gelée. C'est un petit geyser dans lequel est planté une branche habillée de morceaux de tissu bleu, marquant l'emplacement d'un lieu sacré pour les animistes. Pour honorer les esprits il est conseillé de déposer un petit peu d'argent dans les plis de tissu puis de faire trois tours autour de la branche. L'exercice devient rapidement périlleux quand la branche se trouve au centre d'une grande patinoire, mais nous ne voulons pas nous attirer la foudre des esprits de la nature dès le début de notre voyage, nous nous exécutons donc.

Juste derrière le geyser se trouve une immense stèle que Gengis Khan lui-même aurait dressée et plantée dans le sol (il est vraiment trop fort ce Gengis Khan !).


Deuxième étape, le "Eej Mod" (l'arbre mère), haut lieu sacré pour les animistes. Nous n'avons pas apporter de riz et de lait qui sont les offrandes de rigueur... Mère Nature devra se contenter de nos sincères et profonds remerciements pour les merveilles qu'elle nous donne à voir chaque jour.



Dernière étape de notre première journée, un lieu très apprécié des habitants de la région et qui, bien sûr, ne se trouve pas sur nos guides... (Nous aurions d'ailleurs 2-3 mots à dire à l'équipe de rédaction du Lonely Planet de Mongolie à l'occasion...)
Le soleil commence à décliner quand nous entreprenons de gravir les quelques marches qui nous mènent jusqu'au point de vue, le froid est glacial et la neige épaisse. Nous atteignons rapidement le point culminant du site et puis, le souffle s'arrête, les larmes montent aux yeux.... Devant nous, à perte de vue, l'immensité ! Les montagnes enneigées, les plaines gelées, en bas la rivière prisonnière de la glace, tout le paysage semble figé dans son manteau d'hiver. Le silence est absolu.
Notre chauffeur nous fait une brève description de ce que nous avons sous les yeux "à droite le lac Baïkal, la Russie, à gauche Selenge, la Mongolie". Et au milieu, nous, toutes petites, insignifiantes.


Le soleil se couche, il faut repartir pour ne pas être pris par la nuit, de toute façon, notre visage commence à être pétri de froid... De retour en ville, nous nous arrêtons dans un "guantz" (une cantine mongole). Au menu du soir : khuushuurs (beignets frits garnis de viande de mouton) et suutai tsai (thé au lait mongol). Nous mangeons sous le regard amusé d'un mongol qui n'a pas arrêté de nous prendre en photo avec son iphone. Nos nombreuses gesticulations pour lui faire comprendre qu'une demi douzaine de photos devraient être suffisantes maintenant ne faisant que renforcer son hilarité, nous décidons d'écourter notre dîner et de nous réfugier à l'hôtel...

Le soir, la tête sur l'oreiller, les paysages blancs défilent encore derrière nos paupières closes.

Dernier jour à Suukhbaatar, notre train pour Dakhan partira ce soir à 20h40. Nous laissons notre sac à la consigne de la gare et nous partons pour une petite marche sur la rivière "Orkhn". L'avantage des rivières gelées, c'est qu'on a pas besoin de pont pour les traverser ! Il est bien difficile d'ailleurs de faire la différence entre un sol couvert de neige et une rivière gelée couverte de neige... Si bien que ce n'est qu'après avoir fait quelques pas sur celle-ci que nous nous rendons compte qu'effectivement, nous ne sommes plus sur la "terre ferme"...

Nous jouons comme des gamines à imaginer que la glace cède sous nos pas, quand... un craquement... et ma jambe s'enfonce sous la surface jusqu'au genou.


Les filles se croyaient farouches, mais elles font moins les malignes maintenant ! Il reste une vingtaine de mètres avant d'atteindre l'autre berge... L'adrénaline monte à la gorge. On avance délicatement mais prestement, en serrant les dents pour moi et en chantant tout un tas de bêtises pour Alisson (chacun son truc pour faire passer le stress...). Enfin, nous voilà sur la berge ! Les nerfs se relâchent et Alisson arrête de chanter. On rit de notre panique "c'était quand même pas grand chose !" et puis, le rire devient jaune lorsqu'on se rend compte qu'il va falloir retraverser la rivière pour rejoindre la ville... Cette fois, je m'y mets aussi (si ça marche !), et nous voilà, deux petites françaises en train de chanter des chansons paillardes sur une rivière gelée de Mongolie. Plus tu chantes fort, moins tu entends la glace craquer, c'est un fait !
Une fois en ville, nous cherchons un endroit au chaud pour tuer le temps en attendant l'heure de prendre notre train. Nous tentons le "Modern nomads", restaurant chic et ambiance chants de Noël. En une patrie d'échecs, nous en sommes à la cinquième écoute de "Happy New Year" de ABBA (on aimerait parfois que certaines chansons soient moins "internationales"). ENFIN, l'heure de rejoindre la gare arrive ! Après quelques minutes d'attente dans le hall plein à craquer, le train entre en gare et la foule se précipite sur le quai. Nous ne sommes plus en cabine individuelle mais dans un wagon non compartimenté. Rien de désagréable en soit si ce n'est les regards insistants et interrogateurs de nos compagnons de voyage. Cela dit, nous sommes bien les premières à rire de notre dégaine d'arriviste, avec nos gros sacs à dos, le bonnet descendant jusqu'aux yeux, l'écharpe montant jusqu'au nez, les jambes compressées dans nos grosses bottes mongoles et la souplesse de mouvement très restreinte à laquelle nos 15 couches de vêtements nous limitent...
Dans 2 heures, nous arriverons Dakhan, deuxième plus grande ville de Mongolie...