jeudi 21 novembre 2013

Harmonie et diphonie

(Attention ! Recommandation préalable :  cet article est à lire bien confortablement assis, avec du temps devant soi et un casque audio sur les oreilles).


J'aimerai aujourd'hui vous faire partager un peu de l'univers sonore de la Mongolie.

J'aurai du mal à vous décrire les tonalités de la langue tellement elle est unique et incomparable. Elle peut sembler très dur au premier abord, très saccadée et gutturale, puis, sans prévenir, devenir très douce à l'oreille. Au-delà du sens (que je ne peux encore malheureusement pas atteindre), la langue mongole semble être à l'image du pays : rude comme l'hiver et harmonieuse comme les couleurs des temples bouddhistes, sèche comme une pente rocailleuse et liquide comme un ruisseau... Et l'harmonie ne vient pas toujours de là où on l'attend ! Alors, comment les mongols chantent-ils leur langue ?

Les chants traditionnels mongols utilisent une technique complexe appelée "chant diphonique". Je ne saurais vous expliquer comment de tels sons peuvent être produits par des cordes vocales humaines, mais le résultat est captivant. Comme pour la nourriture et le climat, ça surprend au début ! Mais quand on se laisse glisser, les yeux fermés, dans cet univers sonore si particulier, on peut être surpris du voyage mental que les sons peuvent nous faire faire. Voyez vous-même :





A ses techniques vocaliques viennent s'ajouter les instruments. Traditionnellement, on retrouve dans les compositions mongols : la gimbarde, le dombra, sorte de luth originaire du Khazakstan et le yangqin, grande cithare d'origine chinoise.
Mais l'instrument le plus emblématique de la Mongolie est sans aucun doute le morin khuur, la "viole à tête de cheval" classé parmi les chef-d’œuvre mondiaux de l'humanité par l'UNESCO.

                                                   

Cet instrument est présent partout : dans les orchestres mongols autant que dans les magasins de souvenirs. Il est utilisé par les nomades pour accompagner les chants, mais aussi pour transcender la relation entre l'homme et l'animal. En effet il arrive que, dans les campagnes, les chamelles rejettent leur petit et refusent de le nourrir. Le morin khuur est alors utilisé comme médiateur et son chant aurait le don de pouvoir réconcilier la mère est son nouveau né (voir le film : "L'histoire du chameau qui pleure" de Byambasuren Davaa, magnifique conte mongol).

Bien plus qu'un instrument de musique, le morin khuur est un symbole de la culture nomade. Son origine relève de la mythologie. Le premier morin khuur aurait été fabriqué par un jeune homme avec les os et la peau de son cheval blanc afin qu'il soit toujours en communion avec lui même après la mort de l'animal. Cet instrument symbolise donc à lui seul toute la force et l'intensité de la relation entre l'homme et son cheval. Chaque morin khuur possède deux cordes, une femelle composée de 105 poils de la queue d'une jument et une mâle avec 130 poils de la queue d'un étalon. L'instrument est également décoré par la tête sculptée d'un cheval à l’extrémité du manche.

Mais assez de blabla. Je vous laisse découvrir par vous-même la puissance de la musique (écoutez jusqu'au bout, avec un casque pour vraiment apprécier !) :




(Je sais pas vous, mais moi, ça me donne la chair de poule !)

Dans un registre un peu différent. Voilà le type de chanson traditionnelle qu'on peut entendre dans les bus ou à la radio ou ...






... dans le couloir de la résidence!
Ma voisine semble beaucoup aimer cette musique et a tendance à souvent laisser sa porte ouverte et sa télé branchée sur le "MTV" mongol. Je vis donc la plus part du temps avec un fond sonore composé d'émission de télé réalité et de chansons kitches si bien que j'ai parfois l'impression de vivre dans un film de Wong Kar-Wai.
La résidence dans laquelle je vis est aussi celle des étudiants en art et musicologie. Ainsi donc, elle est rarement calme et silencieuse ! A quelques portes de la mienne, un chanteur fait ses exercices de vocalises diphoniques tous les matins sur le chemin de la salle de bain. Un autre, à l'étage du dessous, est un adepte du chant lyrique. Et une voisine, elle, monte et descend ses gammes le dimanche matin quand j'essaie de profiter de ma seule grasse matinée de la semaine...

Quitte à choisir, je préfère être réveillée par une voix cherchant à atteindre les octaves les plus aigües possible plutôt que par le roulement du tambour de la machine à laver de ma voisine... Mais, on ne me laisse pas vraiment le choix et, chanceuse que je suis, j'ai souvent droit aux deux en simultané : mon récital atypique du week-end !

Lorsqu'on sort dans la rue, c'est un tout autre charivari. Exit les chants lyriques, place à la symphonie des klaxons. Les piétons n'ont aucune priorité sur l'asphalte, même sur les passages piétons et avec le petit bonhomme au vert, la méfiance est de rigueur si on ne veut pas se faire tailler un short. Les voitures peuvent débouler de n'importe où et s’insérer dans le trafic de manière totalement anarchique. Les accrochages sont fréquents et les blocages de carrefour plus encore. Dans ce joyeux bordel, les automobilistes ne perdent jamais une occasion de faire sonner leur klaxon, chacun ayant d'ailleurs un timbre particulier selon l'origine de la voiture. Un piéton qui traine un peu trop les pieds sur la chaussée, un feu qui tarde à tourner au vert, un engorgement qui ne se débloque pas ou encore pour avertir qu'on va doubler, s'insérer, accélérer, ... , toutes les occasions sont bonnes pour jouer de l'avertisseur. De quoi faire rougir le plus énervé des parisiens !

Il faut monter haut dans les montagnes environnantes pour que le bourdonnement de la ville s'atténue un peu. Alors, c'est le silence des grands espaces et le crissement de la neige sous les semelles qui viennent caresser nos tympans. Mais même à des kilomètres de la ville, le silence n'existe pas. La nature n'aime pas le vide et il y a toujours une harmonie subtile en suspend.

Parfois le vent fort et glacé crie à nos oreilles, et on croirait alors entendre dans l'air ces chants si particuliers des hommes et des femmes des steppes... La boucle est bouclée.






Alors, bien sûr, il n'y a pas que de la musique traditionnelle en Mongolie ! Les Beatles chantent dans les taxis de Oulan-Bator comme partout ailleurs et les goûts musicaux vont de la pop à l'électro en passant le métal et le R&B.
Voilà par exemple un petit exemplaire de ce qu'on a pu entendre il y a un mois sur la place Suukhbaatar (la qualité est très mauvaise, je m'en excuse... ).





... Allez, un petit dernier pour la route, parce que j'aime beaucoup ce groupe !




Information subsidiaire : J'ai mis deux jours à finir cet article pour des raisons de coupures d'électricité... L'hiver s'installe...






dimanche 10 novembre 2013

Rites modernes et évasion

La régularité des articles sur ce blog (ou blogue pour les puritains de la langue française !) laisse à désirer... Si seulement j'avais le pouvoir de contrôler le temps qui passe à une allure frénétique !

Les nouvelles de la Mongolie sont bonnes. Les jours à l'Alliance française s'écoulent gentiment, entre les leçons, la préparation des examens, les animations pour enfants... J'ai de quoi remplir mes journées. Les étudiants sont toujours très gentils avec moi, et les plus jeunes ne me laissent pas une seconde de répit pendant les cours si bien que même une fois posée dans mon canapé, les "bagch ! bagch !" (professeur ! professeur !) résonnent encore dans mes oreilles. Je dois toutes les semaines puiser dans mon imagination (qui atteint très rapidement ses limites) pour expliquer des notions linguistiques n'ayant aucune logique. Comment notre langue a-t-elle pu accumuler autant de bizarreries, je vous le demande !! Pourquoi faut-il dire "mon amie" et pas "ma amie", pourquoi on écrit "Vas-y" et "Va-t-en" ? Pourquoi "viendrai" et pas "venirai" ? Pourquoi "oiseau" est si compliqué à écrire et si simple à dire ?... Et de voir ces visages déconfits quand on leur répond "C'est comme ça, il faut l'apprendre...".  Pour les rassurer, je leur dis que moi aussi, je dois me battre avec la langue française tous les jours... C'est un combat sans merci, et j'ai peur que les doubles consonnes aient raison de ma raison un jour prochain...

Si l'orthographe française est un chemin de croix, la phonétique, elle, est un véritable parcours du combattant... Réussir à faire sortir d'une bouche un son qu'elle n'a jamais formulé auparavant... Un exploit surhumain !
Et je me rends compte du défi que relèvent les étudiants de l'Alliance quand c'est à mon tour de prendre la place de l'élève devant un manuel de langue mongole...Je suis une très mauvaise élève d'ailleurs, même pas capable de commander un thé dans un restaurant... J'ai honte... Je m'estime heureuse de "gérer" la prononciation du "bonjour" et du "merci"... Ce qui n'était pas gagné d'avance... Et pourtant, un ami mongol m'affirmait qu'il n'y avait rien de plus logique que cette langue car "makh" (viande) fait le bruit de deux mâchoires broyant un gros morceau de mouton, et "us" (eau) rappelle le bruit de la rivière qui s'écoule doucement... Admettons...
Cependant, il est vraiment que certaines choses sont intrigantes dans cette langue, surtout quand on la rapproche à d'autres comme le breton par exemple. On me faisait remarquer par exemple la proximité de sens et de prononciation entre le "ker" breton et le "ger" mongol, tous deux signifiant la maison, le foyer, le chez-soi.

Autre intrigue mais dans un autre répertoire, les petits garçons mongols naissent avec une tâche bleu dans le bas du dos, appelée d'ailleurs "tâche mongoloïde" que l'ont retrouve paraît-il sur le postérieur des nouveaux nés bretons assez régulièrement... Et si j'ai bon souvenir, pas plus loin que dans la propre fratrie ! Aurions-nous du sang mongol ? Cela ne serait pas impossible quand on sait que les invasions Gengiskhanniène se seraient étendues jusqu'à l'Atlantique. Prêtons alors foi aux croyances populaires (appuyées dit-on, par une explication scientifique) qui attribuerait à 0.5% de la population mondiale le privilège d'être des descendants de Gengis Khan lui-même, et alors, nous pouvons laisser notre imagination tisser de lointains liens de parenté avec ces "cousins" des steppes ! Et pourquoi pas ?

Nous avons plus en commun avec les mongols que nous ne pourrions le croire à première vue.  Un exemple flagrant : le cérémonial religieux qui entoure le service de la boisson ! Ici, point de breuvage tiré des fruits de la vigne, mais de la pure vodka comme on en boit nul par ailleurs. L'art est dans le service.
 Tous les convives, autour d'une table, doivent boire dans le même verre. L'hôte rempli une première fois le verre et le tend, de la main droite et avec la main gauche soutenant son coude droit, vers la personne à sa gauche. Le convive reçoit le verre de la main droite plonge le bout de son annulaire dans le liquide et envoi quelques gouttes en direction des quatre points cardinaux en signe de bénédiction, de remerciement. Il boit ensuite, seulement quelques gouttes, ou le verre entier, selon son envie, puis retend le verre à l'hôte. Celui-ci rajoute une dose de liquide dans le récipient et le tend alors à la personne suivante, toujours de la main droite, et ainsi de suite... Trois tours de table doivent être menés avant que, bien réconforté, l'hôte repose la bouteille sur la table.

Quand la vodka est bonne, on se sent l'âme nomade !



Les petits rituels du quotidien mongol s'intègrent petit à petit dans le mien, tendre un cadeau de la main droite, serrer la main d'une personne à qui l'on a malencontreusement tapé dans le pied, commander un thé salé avec son plat de viande, éviter de demander son âge à une femme...

Dans la nature aussi, les lieux empreints de mysticisme rappellent à l'homme son devoir de respect et de reconnaissance envers les forces qui le dépassent et dont il dépend. Ainsi, lors d'une randonnée sur le versant d'une des montagnes encerclant la ville, nous avons pu rencontrer plusieurs ovoos, monticule de pierre et de bois montant au ciel.


Les ovoos sont des monuments sacrés utilisés dans les cultes chamaniques. Chaque personne passant à proximité d'un ovoo doit s'y arrêter, faire trois le tour et y ajouter une pierre.


Des cérémonies chamaniques peuvent se dérouler sur ces sites des offrandes (viande, lait...) sont alors faites au ciel et à la montagne.

S'assoir à côté d'un site sacré et millénaire, en contemplant un paysage vierge et majestueux, c'est se sentir devenir tout petit, insignifiant. L'esprit se libère et s'envole avec les rapaces qui planent au-dessus de nos têtes.

Savoir que ces paysages seront toujours là, calmes et silencieux, a quelque chose de réconfortant...

Se laisser bercer par l'immensité immuable de la Nature, c'est la consolation des grands qui ne peuvent plus se blottir dans les bras de leur maman.



samedi 9 novembre 2013

Coup de gueule

Cher ami-e-s, je suis inquiète. Très inquiète. Je viens de regarder un média français sur lequel je ne m'étais pas aventurée depuis quelques temps (éloignement oblige) ... et j'en avais les larmes aux yeux de voir un tel étalage de conneries.C'est une véritable HONTE d'oser appeler "journal" un tissu d'aneries ne faisant que déblatterrer des stupidités a peine digne d'un groupe d'adolescents prépubères. Les responsables de ces médias abrutissent, formatent et lobotomisent nos cerveaux un peu plus chaque soir. C'est en prenant du recul et en se coupant de cela pendant quelques temps que l'on se rend compte à quel point les médias nous donnent une image dégradante de l'humanité et de la société.

Comment en est-on arrivé là ? Comment peut-on supporter que l'on nous parle aussi ? Comment peut-on se laisser considérer comme des cerveaux mous, incapables de penser par eux-mêmes, seulement bons à consommer ? Comment avons-nous pu accepter de se laisser infantiliser de la sorte ? Comment peut-on regarder, sans ressentir une profonde gêne, ces émissions qui n'ont aucun respect pour l'humanité, pour l'intelligence et pour l'intégrité des personnes ? La liste serait trop longue à énumérer. Aujourd'hui, la télé et les médias en général ne s'adresse plus à des individus doté de raison mais à des êtres infantilisés et émotionnellement assistés. Car la télé ne sollicite pas notre raisonnement, notre intelligence, mais nos émotions. Elle joue avec, les manipule et nous fait ensuite croire que nous faisons des choix raisonnés. Je suis outrée, révoltée, dépitée, je ne comprends pas comment nous avons pu nous laisser abrutir au point que nouss n'ayons même plus la capacité de nous indigner de cela.

Connaissez-vous l'histoire de la grenouille et de l'eau bouillante ?
Mettez une grenouille dans de l'eau bouillante, elle sautera hors de la casserole avant même d'avoir touché l'eau. Mais mettez là dans de l'eau froide, puis mettez la casserole sur le feu. La grenouille restera dans l'eau jusqu'à mourir ébouillantée. J'ai l'impression que notre cerveau est sur le point d'être ébouillanté, cuit dans le jus nauséabond de la désinformation.

Je vous invite à faire l'expérience. Essayez de ne pas regarder (mais pas du tout du tout) la télé pendant 2 semaines (3 si vous vous en sentez capable, on prend vite goût à la liberté !). Lisez, écoutez un peu la radio, ou simplement de la musique, jouez, ne faites rien, discutez....

Et puis, rallumez-là, regardez les infos, les émissions qu'on vous propose, vous sentez-vous plus intelligents ? Avez-vous l'impression d'avoir perdu votre temps ? Prenez du recul sur ce qu'on peut vous dire, vous faire croire dans cette boîte à image formatées, cette boîte à créer de la pensée préconçue. Sautons de la casserole avant d'être complètement cuits. Indignons-nous !

Soyons exigeants ! Réclamons de la qualité, exigeons notre droit à la reconnaissance et au respect de notre intelligence.  Refusons ce discours infâme qui consiste à nous faire croire que réfléchir et utiliser sa raison c'est "se prendre la tête", et que c'est "réserver au intello boutonneux et arriérés qui vivent reclus dans les universités". Essayons de faire honneur à notre magnifique capacité d'analyse, de compréhension et de raisonnement. Ayons du respect pour nous-même ! Ne nous laissons pas enfermé dans la case des "gens qui veulent se divertir et pas se prendre la tête".

Oui, se divertir, c'est très important. Mais  réfléchir, se poser des questions, ce n'est pas là se prendre la tête... Sommes-nous devenus à ce point fainéants que nous n'ayons plus l'envie de se servir de notre matière grise ? Gardons notre esprit critique grand ouvert, c'est notre meilleur allié. Soyons fiers d'être des êtres pensants et non pas des moutons (ou des grenouilles...). Réclamons notre droit de penser, de réfléchir et d'analyser (sans se faire traiter d'intello réactionnaire et ennuyeux). Exigeons une information de qualité, et non pas une bouillie pré-mâchée. Indignons-nous ! Prenons du recul, et on se rendra vite compte de l'étroitesse de la boîte dans laquelle on veut nous faire rentrer. Refusons que notre cerveau soit broyé par le rouleau compresseur des masse-médias, c'est notre premier devoir de citoyen responsable !

Je ne sais pas si je fais bien de publier cela... Il n'est jamais bon de réagir à chaud. Mais ceux qui me connaissent bien ne seront pas surpris... Et ce soir, je suis tellement dépitée que je ne peux pas le garder pour moi.
Je suis en train de lire un livre sur un sacré bonhomme qui s'est exilé du monde pendant 6 mois. Il est parti vivre dans une cabane en Sibérie, sur les bords du lac Baïkal. Et je me dis que c'est peut-être lui qui a raison finalement...

Faites l'expérience (de la télé, pas du lac Baïkal !), et envoyez-moi vos commentaires !

PS : les commentaires sur le blogue ne semblent pas s'enregistrer... Je ne comprends pas pourquoi...