dimanche 12 janvier 2014

Sublime Mongolie (partie 2)

Nous arrivons à la gare de Dakhan à 23 heures. Le quartier est très glauques et les rues sont vides, si ce n'est les quelques chiens rodant autour des poubelles. Du quai de la gare, nous apercevons l'enseigne lumineuse d'un hôtel qui éclaire vaguement la rue. Nous décidons que cela fera très bien l'affaire pour ce soir, ni l'une ni l'autre n'ayant envie de déambuler dans cette ville encore inconnue à une heure si tardive.
La porte de l'hôtel est fermée à clef, mais nous frappons et une jeune femme vient rapidement nous ouvrir. Elle nous dévisage de la tête aux pieds puis prend un air autant amusé que surpris lorsqu'on lui demande une chambre pour la nuit. Avec un petit sourire en coin, elle nous ouvre une chambre. Nous commençons à sentir quelques choses d'étrange dans l'atmosphère de cet hôtel, mais peu importe nous prenons la chambre. Ce n'est qu'une fois les sacs posés que nous réalisons. La porte est insonorisée. Les meubles sont plastifiés, il y a un étrange peignoir en soie accroché au porte manteau et... des distributeurs de papiers toilettes sont fixés au mur, juste à côté d'un affichage signalant qu'il est interdit de boire de l'alcool dans la chambre... Il semblerait que cet hôtel soit plutôt du genre à "louer les chambres à l'heure"... Une petite visite à la salle de bain commune confirme notre impression. Nous sommes bien dans un hôtel de passe. Charmant !

 
Après quelques minutes de malaise, nous rions franchement de l'improbabilité de la situation. De toute façon, nous sommes trop fatiguées pour aller chercher un autre hôtel. Nous essayons donc de dormir en évitant de penser aux locataires des chambres voisines...
Le lendemain, nous rangeons nos affaires dare-dare. Nous ne tenons pas à faire de rencontres étranges dans les couloirs. Nous nous esquivons donc poliment mais prestement.

La ville de Dakhan a tout d'une cité dortoir industrielle : de gros blocs de béton "à la sovièt'", quelques karaokés par-ci par-là, et un marché ou l'on trouve de tout et de rien, de la viande de mouton aux bottes rembourrées en passant par des coques de portables bling-bling et des guitares acoustiques.
Nous pensions avoir atteint le must des hôtels sordides hier soir, mais c'était sans compter sur l'hôtel Dakhan. Ce bâtiment devait être un vrai palace à l'époque soviétique, on pourrait y loger une armée entière ! Malheureusement, il ne semble pas avoir été rénové depuis à en croire les chewing-gums incrustés dans la moquette, le style suranné de la tapisserie et des rideaux ainsi que la violente odeur de renfermé émanant de l'ensemble.
 

Les immenses couloirs d'1,5 mètre de large débouchent sur d'austères halls sombres. La décoration est sommaire et le cuire des canapés troué. Bien que l'hôtel soit quasi-vide, on nous attribue une chambre au 5ème étage sans ascenseur. Rien de très accueillant donc...
Mais un argument suffit à faire pencher la balance, il y a de l'eau chaude ! Ainsi, pour la Saint-Sylvestre, nous nous offrirons le luxe d'une douche dans un décor à la "Shining". Une bouteille de vin italien agrémenté de quelques cacahouètes, des feux d'artifice dans les rues et "The Hobbit" doublé en mongol à la télé, voilà un réveillon qu'on n'est pas prête d'oublier !
Le lendemain, nous sommes très surprises quand la réceptionniste vient nous dire que notre taxi nous attend devant l'hôtel. Pourtant, hier soir, elle semblait nous certifier qu'il n'était pas possible d'avoir un taxi un 1er janvier dans toute la ville... Alors, soit nous sommes encore devant une preuve de la grande capacité d'adaptation mongole (même au dernier moment, il y a toujours une solution), soit nous n'avions vraiment rien compris à la tournure qu'avait pris la conversation d'hier soir... La deuxième proposition est certainement la bonne !
Nous commençons par négocier le prix du trajet sur un bout de comptoir. Nous trouvons rapidement un tarif qui convient aux deux parties et nous nous mettons en route. Un trajet de 3 heures nous attend. Nous nous rendons au monastère bouddhiste "Amarbayasgaland" (il nous a fallu quelques heures de pratique avant de maitriser cette dénomination!).
Notre chauffeur est un jeune mongol de 24 ans. Il nous demande si nous sommes bouddhistes et si nous allons au monastère pour prier. Il semble surpris que deux touristes veuillent visiter un monastère en plein hiver juste pour le plaisir de l'architecture.
Lui, il pratique le chamanisme. Au bout d'une demi-heure de route, il s'arrête sur le bas côté et sort un petit bol en terre cuite de la boîte à gants. Il commence par remplir le bol d'un liquide que nous supposons être de la vodka à en croire l'odeur. Il plonge y d'abord ses deux grosses bagues puis les deux amulettes (un arc en cuivre et un serpent en tissu) accrochées au rétroviseur. Il remet alors ses bagues et sort de la voiture. Faisant face aux montagnes, il envoie quelques gouttes en l'air avec son doigt puis boit le contenu du bol d'un trait. Nous observons avec attention cette courte cérémonie. Nous sommes intriguées. Bien que la Mongolie ait été athéisée durant la période communiste, les croyances et les pratiques religieuses sont visiblement toujours très présentes, même chez les jeunes générations.
Après 1h 1/2 de route asphaltée, nous nous lançons sur une piste verglacée serpentant dans la steppe, nous ne voyons rien à l'horizon. La plaine enneigée s'étend à perte de vue.

Au bout de quelques kilomètres, la voiture dérape, fait plusieurs tours sur elle-même comme une toupie et s'arrête en travers de la piste. Pas de panique, notre chauffeur est un vrai pilote, il redémarre comme si de rien n'était. C'est vrai qu'il n'y a pas vraiment de danger, aucun arbre en vue et pas de fossé au bord de la piste. Nous nous sentons néanmoins comme de petites fourmis avançant péniblement dans un océan lacté. Nous dérapons encore 2-3 fois sur le verglas de la piste, notre chauffeur est concentré mais nous commençons à avoir des doutes... Sait-il réellement où il nous emmène ? Nous ne pouvons faire autrement que de lui faire confiance, perdues que nous sommes au milieu de nul part, sans réseau, sans une yourte à l'horizon... ni monastère d'ailleurs... Alors que nous commencions à sérieusement penser que ce n'était peut-être pas une si bonne idée de  nous aventurer si loin en plein hiver, nous le voyons ! Amarbayasgaland ! Splendeur bouddhiste isolée du monde, merveille architecturale dans son écrin de neige.





Notre chauffeur, presque aussi rassuré que nous d'être arrivé, nous accompagne pour trouver un hébergement. Il y a un tout petit village à côté du monastère. L'été, ce lieu doit bouillonner d'activités, mais l'hiver seulement 2 ou 3 familles y vivent. Dans le petit magasin du village, on trouve, bien alignés sur les étagères, des paquets de cigarettes, des allumettes, des jus de fruits, une grande quantité de ramens et quelques boîtes de conserves. En hiver, les principaux clients de l'échoppe sont les moines du monastère.  La tenancière, qui vit ici toute l'année avec sa famille dispose également d'une yourte pour les voyageurs. Nous y élisons domicile pour les deux prochains jours qui clôturerons notre voyage.

La yourte est l'habitat traditionnel des nomades de Mongolie. Elle peuple encore beaucoup les campagnes du pays bien que de nombreux mongols lui préfère le confort des constructions fixes. Les nomades n'hésitent généralement pas, quand ils en ont les moyens, à échanger le feutres et le bois de la yourte contre la brique et le ciment des habitations sédentaires.


 Sous les yourtes mongoles, l'espace est extrêmement organisé. L'intérieur forme un cercle au centre duquel trône le poêle. On y entre toujours du pied droit en faisant bien attention à ne pas marcher sur le seuil, ni à se cogner la tête au linteau de la porte (et croyez-moi, ce n'est pas si facile...). Une fois à l'intérieur, il faut circuler dans le sens des aiguilles d'une montre et ne pas passer entre, ni s'appuyer sur, les poteaux soutenant la yourte.


La porte de la yourte est toujours orientée vers le sud. L'est (la partie gauche de la yourte) est réserve aux femmes et l'ouest est la partie où siège traditionnellement les hommes. Le fond de la yourte (en face de la porte) est la zone réservée aux anciens, aux objets de valeurs, familiaux ou encore aux hôtes. Les lits sont disposés sur les côtés de telle sorte que les pieds soient orientés vers la porte. L'armature de la yourte est faite en bois et est maintenue à l'aide de corde. Elle est recouverte de feutre blanc à l'extérieur et de tissu richement coloré à l'intérieur.



La seule ouverture vers l'extérieur, à part la porte, est le trou dans le toit laissant sortir le tuyau du poêle.
L'atmosphère à l'intérieur d'une yourte est chaude et rassurante. Le contraste est fort entre l'extérieur immense et glacial, et l'intérieur restreint et confortable.Vivre dans un cercle a quelque chose d'apaisant, la dureté des angles droits laisse place au calme serein des lignes courbes. C'est un espace ou l'esprit se sent bien, mais où, il faut le dire, le confort est limité.
 Il n'y a, bien sûr, pas d'eau courante dans la yourte et, concernant les besoins naturels, un trou entouré de quatre murs à quelques mètres de la yourte font l'affaire. Je vous laisse imaginer la partie de plaisir quand il faut baisser son pantalon par -25°C, en équilibre sur deux planches de bois...
Si la température monte très vite à l'intérieur de la yourte grâce au poêle à bois, elle descend tout aussi rapidement quand celui-ci n'est pas alimenté. Ainsi, Il faut régulièrement se levé, la nuit, pour remettre quelques bûches à brûler. N'étant pas habituées à cette activité nocturne, nous avons eu le malheur, dès la première nuit, de laisser mourir le feu... Si bien qu'à 5 heures du matin, engourdies par le froid et par le sommeil, nous étions à quatre pattes, soufflant sur les braises pour tenter de rallumer le poêle...




Maintenir une température intérieure confortable alors que l'air extérieur avoisine les -30°C la nuit est un véritable sport de combat ! Mais ensuite les projections lumineuses du feu, filtrées par la grille du poêle, dansent sur les murs de la yourte. Alors, au fond de son lit, regardant les étoiles scintiller à travers le trous du toit, on se sent bien, privilégiée, hors du temps.

1 commentaire:

  1. Genial tes articles Chacha! En les lisant, on s'y croirait. Continue de nous faire voyager.

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